Samedi, je passe une soirée agréable, seule avec Frédéric. Depuis mon hospitalisation en Novembre 2014 je reste enfermée à la maison, craignant les douleurs horribles pouvant survenir dans ma cage thoracique lors d'efforts physiques. Mais il me semble que ce soir là nous sommes partis ensemble chercher de quoi manger. Ce soir là, nous n'avons pas croisé Jean-Jacques.
Dimanche matin, je me lève de bonne heure pour donner à manger à Odin, et me recouche. Je ne saurais dire à quelle heure nous nous sommes finalement levé. Nous étions tous les deux sur le point de commencer une mission sur GW2 lorsque quelqu'un a frappé à la porte. Huguette, inquiète de ne pas avoir de nouvelle de son fils, est venue le voir. C'est à ce moment que j'ai commencé à avoir très peur. Ne prenant aucune once de courage, je l'ai laissé aller seule voir son fils à l'autre bout de la colocation. Un silence pesant passe, pendant lequel je me suis rassise à mon bureau aux côtés de Frédéric. J'en viens à me convaincre que tout va bien. Jusqu'à ce que je l'entende crier d'horreur.
Lorsque nous l'avons rejoins, Huguette criait qu'il était mort, qu'il s'était pendu. Je me souviens de la tête de Frédéric quand je lui ai demandé d'appeler un médecin. Il semblait vouloir me dire pourquoi faire ? Il est déjà mort, c'est trop tard pour un médecin, es-tu stupide ? Il a donc appelé les pompiers, qui lui ont demandé par téléphone de toucher le corps pour vérifier s'il était froid. Il l'était.
Je n'ai jamais autant voulu me recroqueviller dans un trou et disparaitre que lorsque, plus tard, la police était dans notre salon en train de décrire la scène au téléphone.
Je me souviens encore du son de sa voix lorsqu'il m'avait dit avec insistance, quelques jours avant : « J'ai envie de me pendre. Non mais vraiment. Physiquement. » et aussi de ma panique intérieure, parce que je suis la dernière personne avec qui parler de dépression. J'ai insisté ce jour là pour qu'il aille parler de ça avec un médecin pour se faire prescrire un anti-dépresseur, et qu'il n'annule pas le diner chez sa mère. Je lui ai dis maladroitement que la dépression est une chose maléfique qui te bouffe ton temps sur terre, et qu'il fallait "se remettre".
Pourtant, pendant le mouvement JE SUIS CHARLIE, il m'avait dit d'un ton un peu colérique que les gens travaillant au Charlie Hebdo étaient des connards (de mettre en danger les gens par leurs publications) et qu'il ne voulait pas se faire tuer (par des revanchards ethnophobes, son patronyme étant arabe)
Dans le salon, après la découverte de son passage à l'acte, j'entends que Frédéric et Huguette ne pensaient pas que cela arriverait, que c'était une surprise totale. j'ai l'impression d'avoir été la seule personne à craindre de retrouver un cadavre chez nous un beau matin, mais je m'étais convaincue qu'il ne pouvait pas se pendre dans cet appartement. Que c'était techniquement trop laborieux. Que les chrétiens évitent ce genre de sortie. Je me suis trompé.
Huguette affirme qu'il était harcelé par les créanciers. On ne peut que faire des suppositions quant à ses raisons. Je crois qu'il n'a pas supporté d'avoir dû fermer son agence artistique.